Si le « premier » confinement avait déjà fait apparaître cette nouvelle édition de la « concurrence des victimes », le deuxième n’a pas non plus manqué ce rendez-vous : qui souffre le plus, de la pandémie sans doute mais bien davantage encore des mesures prises par les pouvoirs publics pour l’affronter ?
– « Nous sommes tous dans la même bateau », clament les uns ;
– « Oui, mais c’est moi qui prend les vagues de front ! », répondent en chœur des « secteurs ».
Aujourd’hui, dans cette grande série « Qui souffre le plus du corona ? », voici venu le tour des … « Tour-opérateurs ».
N’est-ce pas alors le moment de se rappeler cette question lancée par Bruno Latour, fin mars 2020, sur AOC:
Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles ne reprennent pas ?
Et sa sous-question, pour dépasser les « Yaka » :
Quelles mesures préconisez-vous pour que les ouvriers / employés / agents / entrepreneurs qui ne pourront plus continuer dans les activités que vous supprimez se voient faciliter la transition vers d’autres activités ?
Essayons-nous à l’exercice.
La diminution significative du volume de transport aérien des personnes nécessitera des reconversions, tant du personnel assurant ces vols que des fonctions annexes : catering, nettoyage, maintenance, commerces divers, contrôle aérien… autant que ce que l’on nomme l’industrie du tourisme. Pour chacun de ces sous-secteurs d’activités, des accompagnements devront être mis en place, sur un modèle inspiré des « cellules de reconversion » et qui mobilisent les salarié.es et leurs organisations représentatives, les employeurs, ainsi que les représentants des pouvoirs publics. Ces cellules se doivent d’inventorier et de valoriser les compétences des personnes et chercher les activités et les secteurs d’activités dans lesquelles ces compétences pourraient être positivement mobilisées. L’enseignement et la formation des adultes, les services publics de prospective, les universités, les organisations de tout type, actives sur un territoire, devraient également être associées à de tels efforts. La vitale reconversion de ces secteurs passe par les démarches de réflexion, de concertation, menées avec les travailleur/euses et leurs organisations représentatives, afin de ne pas laisser ces décisions aux seuls actionnaires. On se souviendra de la proposition d’Isabelle Ferreras quant au renforcement de la démocratie dans les entreprises.
Possibles reconversions
Le premier confinement a mis en lumière des capacités de reconversion d’entreprises qui, en quelques jours, se sont montrées capables de réorganiser leurs processus de fabrication pour produire des biens sanitairement utiles, voire cruciaux (gels hydro-alcooliques, masques, voire respirateurs ou autres équipement hospitaliers…) Ces exemples doivent être étudiés de manière à mettre en lumière les ingrédients qui ont permis leur réussite et favoriser leur transfert à d’autres secteurs d’activités.
Les entreprises pourraient alors être encouragées et aidées par les pouvoirs publics dans cette réflexion participative. De manière schématique, ces démarches peuvent comprendre les étapes suivantes :
– Quelles sont les compétences présentes dans notre entreprise ?
– Avec les savoir-faire et les équipements dont nous disposons, que serions-nous capables de faire d’autre ?
– Qu’elles sont aujourd’hui les besoins et demandes solvables, socialement, collectivement, culturellement… nécessaires ou simplement utiles, que nous pourrions rencontrer en mobilisant toutes ou parties de ces ressources ?
– Que devrions-nous revoir dans nos processus, de manière à ce que cela se passe dans des conditions respectueuses des limites écologiques et soucieuses du maintien de la vie sur terre ?
Des gestes-barrière contre le retour du « business as usual »
Revenir à l’avant Covid ? Que nenni. « Pas de retour à l’anormal », a-t-on lu çà et là !
Il s’agit au contraire de profiter de cette crise, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, pour réfléchir à nos modes de vie et aux mutations que nous impose notre condition de terrestres. Mais plus encore, il faut s’atteler à l’élaboration de manières concrètes d’y arriver. Et ces basculements nécessaires ne pourront pas se faire « d’en haut ». Faute de quoi, chaque mesure ne manquerait pas d’être contestée, si pas contrecarrée par les coalitions circonstancielles des mécontent.es qui surgiraient immédiatement. Plus que jamais, nous avons besoin d’un travail sur le « comment faire », auquel doivent être associées les forces vives les plus larges.
Les questions proposées par Bruno Latour, qui articulent, dans une même démarche collective, l’horizon désirable et les contraintes des chemins à parcourir, sont donc d’une cruciale pertinence.
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