Pour être compris et faire adhérer
La responsabilité des professionnel·les des médias et des scientifiques est radicalement engagée dans ce qui est tout de même l’enjeu vital de ce XXIe siècle. Nous le savons, à ce rythme, la planète ne sera bientôt plus habitable. Oui, mais dans cette phrase, que signifie exactement « savoir » ? Et « nous », finalement, c’est qui ?
Les scientifiques invité·es à intervenir dans les médias sont inévitablement confronté·es à ce dilemme : s’exprimer d’une manière scientifiquement vigilante, au risque de ne pas être compris, ou privilégier au contraire le souci pédagogique, au risque de perdre de la crédibilité, par manque de rigueur. Ce dilemme est paralysant.
Une récente séquence de « Déclic » (1), (30/08/2023), l’émission RTBF de début de soirée, animée par Julie Morelle, recevait deux experts : le climatologue François Massonnet (UCL/FNRS) ainsi que Rafiq Hamdi (Chef de l’Unité « Modélisation du climat et études d’impact » à l’IRM). Cette séquence en est une bonne illustration : on se livre ici à un décodage, sous un angle précis : l’approche cognitive du langage et spécifiquement la notion de « frame » (2). Décryptages et analyses d’exemples, propositions concrètes, et surtout un appel : l’urgence de réfléchir et de se former.
Dès l’introduction du sujet, Julie Morelle fournit de la matière pour un tel décryptage. Après un florilège de titres de journaux télévisés des semaines écoulées, rappelant les températures affolantes de l’été (les fameux « records », comme s’il s’agissait d’un exaltante compétition sportive !) et les inimaginables étendues de forêts détruites (plus que la superficie de la Grèce, tout de même), la journaliste s’excuse et dit en substance :
JM : « C’est anxiogène, ce rappel de toutes ces infos, je le reconnais. Mais on va essayer de décoder tout cela avec deux chercheurs ».
Quel est le « frame », c-à-d quelles sont les évidences implicites, les repères sous-jacents, les « lunettes cognitives » mobilisées par la journaliste et à travers lesquelles elle invite son auditoire à concevoir le problème ?
On peut y répondre très schématiquement : les émotions doivent être contrôlées par la raison. On reconnaîtra sans difficulté l’héritage cartésien sur lequel s’appuie cette distinction.
Or, ainsi que l’ont montré les travaux d’Antonio Damasio notamment, on sait aujourd’hui que le fonctionnement normal du cerveau intègre raison et émotion : la séparation entre les deux représente précisément « l’erreur de Descartes ». (3) « Écoutez les scientifiques » proclamait Greta Tunberg. C’est précisément ce qu’il y a lieu de faire. On sait aujourd’hui scientifiquement que nos cerveaux ne procèdent pas de la manière rationnelle, telle qu’idéalisée par Descartes… au XVIIe siècle ! Depuis lors, nous avons appris beaucoup sur le cerveau !
Qu’est-ce que la science
JM : François Massonnet, les climatologues eux-mêmes ont été surpris par l’ampleur des événements.
Quel est ici l’implicite ? Réponse : la science consiste à établir des liens nécessaires et bien élucidés entre des effets et des causes. Ce qui s’est passé cet été n’a pu être précisément prévu, la science a donc des limites, elle ne sait pas tout.
Or, la recherche scientifique aujourd’hui consiste à établir des liens entre variables, qui interagissent entre elles de manière systémique, avec des effets de seuil, des covariances, des boucles de rétroactions, ainsi qu’y insistera très justement Hélène Maquet, en fin de séquence. Sur cette base, un discours scientifique sérieux aujourd’hui présente davantage ses travaux comme des probabilités d’apparition d’événements, une probabilité qui peut être mesurée et chiffrée. Cette incompréhension s’exprimait déjà dans les réactions qu’a suscitées la publication du « Rapport Meadows », en… 1972 ! Formulons cela par un exemple.
– Le tabagisme est fortement corrélé à des cancers. (Probabilité)
– « Oui mais moi, docteur, quand dois-je précisément m’arrêter de fumer, pour éviter un cancer des poumons ou du larynx ? » (Causalité linéaire)
On mesure ici l’étroitesse de ce questionnement.
Les faits, rien que les faits… ou pas !
FM : Pour contrecarrer les distorsions entre ce que l’on ressent, ce dont on a le souvenir et la réalité, il faut revenir aux chiffres et conclure que la situation est alarmante à tous points de vue.
RH : Depuis 1892, c’est la première fois que les températures nocturnes n’étaient pas en dessous de 10°C. C’est le 6ème été le plus chaud depuis 1833, même si on ne l’a pas ressenti. Il faut regarder les chiffres.
Quel est ici ce que n’est quasi même plus implicite ? La réalité est celle qui est appréhendée par des instruments objectifs et non par nos perceptions et les souvenirs que nous en avons.
Si nous abordons les choses en des termes interactionnels, affirmer « Ce sont les chiffres qui ont raison et non vos impressions », revient à prendre, par rapport à notre interlocuteur·rice une position de supériorité qui se formulerait ainsi : « Mes instruments me permettent de savoir, tandis que vos sens vous trompent ; je sais, vous ne savez pas ; j’ai raison, vous avez tort… », ce qui, reconnaissons-le, n’est pas la meilleure manière d’entrer en relation avec l’autre, surtout si l’on souhaite être écouté !
Or, comme les psychologues sociaux le savent depuis les années ‘60, le mécanisme appelé « réduction de la dissonance cognitive » montre que ce n’est pas un fait avéré qui est à même de faire bouger une croyance. Et Lakoff d’affirmer : « Croire que les gens abandonneront leurs croyances irrationnelles face à la force des preuves qui leur sont présentées est elle-même une croyance irrationnelle, non étayée par des preuves. » Dès lors, s’obstiner à présenter des faits comme tentative -désespérée- pour faire changer quelqu’un d’opinion consiste précisément à croire quelque chose… que les faits démentent !
Alerter sans cesse, oui, mais…
JM : On n’est plus surpris par l’usage régulier de termes comme vagues de chaleur, dômes de chaleur…
FM : Ces termes ne figurent pas dans les manuels de météorologie classiques. Ce sont des termes qui vulgarisent les questions de climat sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas faux pour autant. L’image d’une cloche qui emprisonne des millions de gens est parlante. On fait ainsi rentrer ces épisodes qui restent extrêmes, dans une forme de normalité. Le changement climatique, autrefois exceptionnel, est devenu une norme.
Quel est ici l’implicite ? Réponse : on finit par s’habituer à quelque chose d’anormal, à tenir pour normal ce qui, jusqu’il y a peu, était considéré comme anormal. Et si c’est devenu normal, ce n’est donc pas/plus grave.
C’est pourtant bien vu. La répétition de l’information sur la scène médiatique (« Au loup ! ») produit cet effet d’habituation/normalisation, qui atténue dès lors la possibilité, toute relative d’ailleurs, de susciter la conscience de la nécessité d’une action. On se souvient de cette fable d’une grenouille, plongée dans une casserole qui se réchauffe peu à peu. Elle ne s’affole pas du tout de ces changements, en raison de la répétition même de changements qu’elle ne perçoit pas.
Réchauffement ? Plus jamais !
JM : Ce que disent nos perceptions, c’est que les situations sont très contrastées dans un endroit ou l’autre de la planète, et même d’un endroit à l’autre du pays. C’est cela qui est compliqué quand on parle de réchauffement. Quand on dit 1,5°C, 2°C… qu’est-ce que ça veut dire, concrètement pour moi qui habite à Arlon, pour moi qui habite dans le centre de Bruxelles ? Si l’on réussit à ne pas dépasser le seuil d’1,5°C, cela représente beaucoup plus, 4°C dans une ville comme Bruxelles, par exemple. Expliquez-nous ça.
Commentaires. Le terme même de réchauffement est problématique à plus d’un titre. Ainsi, il est associé, anthropologiquement, à cette structure cognitive, schématique et imagée qui se formule ainsi « L’AFFECTION-C’EST-DE-LA-CHALEUR » (4)
Dès lors, loin de susciter la nécessité d’une action face à une situation inquiétante, il évoque tout au contraire l’affection et le réconfort. Il s’agit donc d’un terme à proscrire radicalement, dans toute tentative de vulgarisation de ces enjeux. Ce terme de réchauffement évoque aussi cette image de l’élévation progressive de la température d’une casserole sur le feu. (Oui, l’image de la grenouille qui s’y habitue, sans inquiéter…) Ce terme renvoie aussi à la notion de moyenne, notion mathématique élaborée et peu accessible. Il donne enfin l’image d’une fausse distribution de cette augmentation, alors que les dérèglements se manifestent par l’augmentation des événements météorologiques extrêmes, comme des canicules, de méga-feux, des pluies torrentielles et des inondations meurtrières. Conclusion opérationnelle : proscrire définitivement l’emploi de ce terme !
En moyenne, le savoir ne mène pas à l’action !
RH Les modèles dont on dispose et sur lesquels s’appuient les rapports du GIEC sont des modèles globaux. Nous avons développé une méthode qui permet donc d’anticiper les impacts, par exemple sur une ville comme Bruxelles. Nous avons fait une « descente d’échelle ». Cette étude montre que 1,5 à 2°C « global », cela veut dire 3,6 à 4,1°C en moyenne. On dépasse donc largement les accords de Paris. On a aussi essayé d’évaluer l’impact sur le nombre de vagues de chaleur. Si on passe de 1,5 à 2°C, cela veut dire augmentation de 29 % des vagues de chaleur. Mais si on arrivait à un réchauffement global de 3°C, cela donnerait une augmentation de 158 % des vagues de chaleur. Vous voyez que ce n’est pas linéaire.
Cette dernière affirmation présuppose, pour être comprise, des compétences mathématiques dont sont bien loin de disposer nombre d’auditeurs et d’auditrices. C’est le moment de rappeler ceci. En 1971, alors âgé de 29ans, Denis Meadows est invité à faire une présentation d’une version intermédiaire de son rapport devant une délégation du Club de Rome. Il est alors sidéré par l’incompréhension qu’il constate chez ses interlocuteurs. Des choses, pourtant élémentaires à ses yeux, comme la différence entre une progression linéaire et progression exponentielle, ne sont pas comprises. On leur demande alors de rendre pédagogiquement plus explicites les notions qu’ils utilisent : c’est Donella Meadows qui s’en charge. A la lecture de cette nouvelle version, Aurélio Peccei, un des fondateurs du Club de Rome, ce serait alors écrié : « C’est cela que je veux, pas un rapport scientifique ». On notera donc que c’est bien Donella Meadows qui est l’autrice du « Rapport Meadows » ! (5) Si des capitaines d’industrie, comme ceux qui constituaient cette délégation, étaient incapables de comprendre ces notions, que dire alors de publics plus larges, politiques compris ?
S’il est une leçon à tirer de tout cela, c’est qu’il nous faut renoncer à la croyance, implicite nécessaire à tout exposé scientifiquement argumenté et pourtant démentie par les faits : « Si ils et elles comprennent, ils et elles agiront en conséquence. » Rien n’est pourtant plus faux, comme le montrent 50 années d’appel à la prise en compte des limites planétaires.
Hélène Maquet : Peut-on zoomer davantage, par quartier ? Des quartiers peu de verdurisés ou fortement bétonnés sont-ils différents de quartiers plus verdurisés ?
RH : Pour l’instant, nous pouvons avoir une précision d’un Km. Avec cette mesure, on peut voir la différence entre le centre-ville et la périphérie entre ces deux, il y a 2°. C’est ce que l’on appelle l’îlot de chaleur urbain.
JM : Donc, si l’on habite à Rhode-Saint-Genèse ou rue d’Ansaert, on a 2°C de différence.
RH : Oui, 2°C de différence, en moyenne. Mais ce que l’on a vu, c’est que, même avec des changements globaux, ces 2°C restent les mêmes, ça ne change pas beaucoup.
Quel est l’implicite dans cette question, outre le fait que le revenu moyen par habitant de ces deux communes prises en exemple est corrélé à des impacts différenciés des dérèglements climatiques ? Ici, à nouveau, l’élévation des températures reste appréhendée comme une moyenne, avec tous les effets de mécompréhension dénoncés plus haut, puisque cette notion occulte, notamment, l’existence d’épisodes extrêmes.
La science : prédire ou chercher, savoir ou douter ?
JM : Une question importante, ce sont les causes. Partout, on évoque le réchauffement climatique pour parler de la sécheresse, les incendies, il n’y a pas vraiment de doute là-dessus, on le voit, les températures augmentent. Maintenant, vous dites que les effets dynamiques et systémiques de tout cela restent encore difficiles à comprendre.
FM : Cela peut paraître paradoxal. Quand on fait de l’attribution au niveau global, il n’y a aucun doute sur l’augmentation en fréquence et en intensité de phénomènes météorologiques extrêmes. Ces vagues de chaleur sont liées au changement climatique. Mais si tôt que l’on plonge dans une région particulière et dans des échelles de temps un peu plus courtes, cela devient plus compliqué. (…)
Ici, nous avons autre chose, qui concerne le statut même de la science, ce qui nécessite de faire clairement et explicitement la différence entre le processus de recherche et le statut des discours qui rendent compte de ses résultats. Il est légitime que les disciplines scientifiques identifient des champs de recherche dans lesquels la connaissance doit encore avancer. La posture scientifique consiste précisément à affirmer que beaucoup de choses restent à comprendre. En revanche, exposer cela dans le cadre d’une telle émission pose un autre problème, que l’on pourrait illustrer ainsi. De la part de la journaliste, poser une telle question à un spécialiste de la modélisation de l’IRM ou à un spécialiste de la prédictibilité et de la variabilité du climat pourrait se comparer à poser la question suivante à un expert de l’IBSR.
– « Nous sommes dans une voiture lancée à pleine vitesse. Devant, il y a un mur, chronique d’un crash annoncé.
– « Oui, mais moi, concrètement, si je suis sur la banquette arrière, derrière de conducteur, quels sont précisément les os qui vont être brisés ? Etes-vous êtes capables de le prédire avec précision ?
– « Non ? Alors, attendons que la science soit capable de le découvrir avec certitude ! »
Soucieux de se montrer scientifique/chercheur, de décrire l’objet de ses recherches, le climatologue vient alors lui-même alimenter ce doute sur la fiabilité des discours scientifiques, tel qu’induit par la question même que lui adresse Julie Morelle.
C’est assez précisément ce que viennent confirmer les derniers échanges entre le climatologue et la journaliste.
FM : On sait qu’il y a une augmentation différenciée de la température en Arctique par rapport au reste du monde. C’est ce qu’on appelle l’amplification Arctique. Mais il y a aussi une grosse influence des tropiques. L’amplification des températures en altitude dans les tropiques, à l’équateur a tendance à renforcer et non pas à ralentir les vents d’ouest. Et donc, on a ce que l’on appelle un tir à la corde entre deux régions, L’Arctique et les tropiques, dont l’issue reste incertaine.
JM : On apprend qu’il y a donc encore beaucoup de choses à apprendre et à découvrir dans ce domaine des sciences de l’environnement.
Forçons le trait : « Vous reviendrez lorsque vous aurez à nous dire des choses avérées, prouvées ». Or, on l’a déjà noté plus haut, faire de la science aujourd’hui se situe dans une tout autre épistémologie que ce qu’implicite la réaction de la journaliste, pour qui la science se devrait d’élucider des liens déterministes entre causes et effets. Par conséquent, toutes ses questions qui prennent appui sur cette conception de la validité des discours scientifiques renvoient les auditeurs et auditrices à une conception de la science telle qu’elle se pratiquait aux XVIIIème et XIXème siècles. Cela ne contribue donc pas à l’éducation scientifique des auditrices et auditeurs et les conduit à attendre des discours scientifiques sérieux ce qu’ils ne peuvent produire.
Systémique et probabilités : l’urgence de réfléchir à comment en parler
En fin de séquence, c’est précisément à cette interpellation que se livre Hélène Maquet, l’autre journaliste présente sur le plateau. Dans son « billet », elle décrit les difficultés de la circulation des bateaux de marchandises au canal de Panama. Elle explique ce que sont les dysfonctionnements observés (spécifiquement l’eau douce manquante, pour assurer le fonctionnement des écluses). Construit il y a plus d’un siècle, dans tout autre contexte climatique que celui que nous connaissons aujourd’hui, le canal de Panama illustre donc un des effets peu prévisible des bouleversements climatiques. En conclusion de sa chronique, elle explique en substance :
HM : Les perturbations du climat n’ont pas des effets linéaires. Ce cas est emblématique. Il nous pousse à réfléchir différemment, à déplier notre intelligence d’une nouvelle manière, si nous voulons comprendre ces enjeux actuels. Ce cas montre que nous avons affaire à des causes imbriquées, historiques, multiples, dynamiques en termes de temporalité et combien aussi, en réalité, les causes se déclinent en cascade et dans des directions différentes. Ainsi par exemple, des impacts sur le commerce mondial. Le cas emblématique du canal de Panama est comme nombre d’événements d’aujourd’hui. Il nous pousse à penser de manière concentrique, arborescente et non plus de manière linéaire : une cause donne en effet. Aujourd’hui, nous devons apprendre à concevoir qu’une multiplicité de causes imbriquées peuvent aboutir, ou pas, de manière incertaine, en cascade, qu’elles prendront des directions que l’on ne peut pas prévoir à 100%. Le cas du canal de Panama nous dit ceci : si nous voulons comprendre le monde, notre cerveau doit apprendre deux choses : penser en termes de système et accepter une part d’incertitude.
Voilà un magnifique plaidoyer pour cette révision de la pensée qui s’impose à nous… et aux professionnel·les de médias. Si l’on est conséquent avec l’élucidation d’Hélène Maquet, il faut donc cesser d’interroger des scientifiques sur base d’une conception désormais dépassée de la science (qui la restreint à l’élucidation des liens mécaniques, déterministes entre causes et conséquences bien circonscrites) mais davantage mettre en lumière la complexité, la non linéarité, l’approche probabiliste… avec toutes les difficultés du « wording » que cela rencontre, si l’on veut présenter cette approche de manière intelligible. (6)
Le défi est immense, reconnaissons-le. Lakoff parle, à ce propos, d’hypo-cognition. (7) Nous ne disposons pas, affirme-t-il, de manière quasi désespérée, des instruments cognitifs pour appréhender cette complexité, tant les langues indo-européennes sont marquées par l’approche causaliste, celle qui est certes pertinente dans l’univers des objets du monde physique, (comme des chocs entre boules de billard) mais si dramatiquement inappropriée, quand il s’agit du complexe, du vivant, nécessairement marqués d’imprévisibilité. (8)
Oui mais concrètement ?
Journalistes, obligeons-nous à n’interpeller les scientifiques qu’avec des questions informées sur ce qu’est une démarche scientifique aujourd’hui et non sur base des fondements épistémologiques qui présidaient ou 18e et 19e siècle ! Cessons de parler de climat en termes de température puisque cette approche induit la confusion entre climat (cette notion mathématique qu’est une moyenne) et la météo (la température ressentie ici et maintenant). Dans le même esprit, bannissons de notre vocabulaire les termes de changement ou de réchauffement climatique pour privilégier d’autres termes comme dérèglement bouleversements défi climatique.
Scientifique du climat, biologistes, écoutez ce que les scientifiques de la cognition et de la communication ont à vous dire. Parlez en visant la rigueur mais pour ne pas être compris ou pire alimenter un scepticisme qui n’a vraiment pas besoin de cela produit donc des effets délétères non seulement sur la compréhension des enjeux mais surtout sur l’urgence sur l’importance et sur la légitimité de prendre des mesures radicales de réorganisation de nos sociétés et d’y adhérer.
La responsabilité historique des professionnel·les des médias et des scientifiques est hautement engagée. Le travail précurseur du «Guardian», salué de toutes parts, trouve un écho francophone dans la « Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence climatique ». (9) En Belgique francophone, une Carte Blanche de scientifiques du climat et de la biodiversité en a récemment appelé à cette même nécessité. (10)
Les mots pour le dire
Ce défi est loin de s’adresser aux seul·es professionnel·les des médias et des scientifiques du climat. Il concerne également le monde associatif, qui prend en charge le plaidoyer sur ces questions, les enseignant·es de toutes disciplines, qui veulent enrichir leurs cours en y incorporant de quoi réfléchir à cet enjeu majeur du siècle…
Mais il concerne aussi la recherche scientifique en sciences humaines, et les différentes déclinaisons, fondamentales et opérationnelles, des travaux en approches cognitives. Avec quels mots parler de ces sujets ? Ce n’est pas une question d’opinion : cela peut faire l’objet d’études sérieuses, dont nous manquons cruellement. C’est pourtant une question vitale : se faire comprendre et faire adhérer à la légitimité des mesures structurelles et justes, que l’on tarde tant à prendre.
Jamais sans doute cette phrase, que l’on prête à Albert Camus, n’aura été aussi pertinente :
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
REFERENCES.
(1) https://auvio.rtbf.be/media/declic-l-emission-radio-declic-3076406. = 26:40 à 38:50
(2) LAKOFF, George, (2008), « The Political Mind, A Cognitive Scientist’s Guide to Your Brain and Its Politics », Penguin Books, New York.
(3) Antonio DAMASIO, (2001), « L’Erreur de Descartes. La raison des émotions », Odile Jacob, Paris. (1994, pour l’Ed. Orig.)
(4) LAKOFF George, JOHNSON Mark(1985), « Les métaphores dans la vie quotidienne », Ed de Minuit, Paris. (1980/2003, pour Ed. Orig. et rééd. actualisée)
Pour le développement de cette idée : Gérard PIROTTON, (2022), « Mieux parler des enjeux de climat et biodiversité. Le « petit Lakoff » sans peine !
(5) Nouvel Obs.
(6) Communications et métaphores
(7) Hypocognition
(9) Journalisme à la hauteur de l’urgence
À propos de l’auteur